Manger à ventre déboutonné
Jean Erich René
Nous sommes choqués par le reportage de la CNN sur la famine qui sévit
présentement en Haïti."Des galettes de boue frite et épicée servent de
repas." Nous avons déjà entendu cette chanson fredonnée par des politiciens
marrons pour révolter les esprits et provoquer la chute du gouvernement en
place. Hier ce drame imaginaire avait comme théâtre le Nord`ouest.
Aujourd`hui c`est le Plateau Central qui est ciblé. Cette mauvaise façon de
faire la politique, uniquement pour
déséquilibrer le fauteuil présidentiel, fait plus de torts que de biens au
pays. Quelle est la valeur nutritive de l’argile au point d’en faire un
biscuit croqué par nos concitoyens pour apaiser leur faim? Ces tablettes
sont souvent vendues dans nos marchés publics à des fins cosmétiques en
guise de masque de beauté ou anti-rides pour la gent féminine. Elles sont
parfois rongées par les femmes enceintes pour chasser la nausée qui les
incite à cracher lors de la grossesse. Nous sommes conscients des
difficultés actuelles d’approvisionnement en
denrées alimentaires. Nous comprenons la colère citoyenne que suscitent les
déclarations fantaisistes de l’équipe au pouvoir mais la terre haïtienne
n’est pas aussi ingrate au point de refuser de nourrir ses fils selon les
normes diététiques! Exploiter une situation de misère pour monter un
videoclip dénaturé et avilissant participe d’un sentiment
anti-national.Comment est-on arrivé si bas?
Une nouvelle ère économique s’ouvre sur le monde avec des conséquences
désastreuses sur la consommation alimentaire. Une pression sans précédent
s’exerce sur le marché agricole à cause du choix des céréales, pour leur
forte teneur en biocarburant, comme substituts du pétrole. Cette mutation
du marché international, provoque une envolée des prix du blé, du mais etc.
nos principales sources d’alimentation. Elle fragilise davantage
l’assiette alimentaire des pays émergents et particulièrement Haïti à cause
de l’explosion démographique. En effet, la population haïtienne augmente à
un rythme géométrique tandis que la production croit arithmétiquement. De
plus il faut noter une migration massive de la population rurale et son
étalement , avec leurs us et
coutumes, à l’intérieur des villes et dans leurs périphéries.
Cet exode rural entraîne simultanément une baisse de la production agricole
et une réduction de nos espaces cultivables limitrophes aux concentrations
urbaines. Nous pouvons étayer notre thèse en évoquant l’urbanisation de la
Plaine du Cul-de-sac (Port-au-Prince, Bergeau (Cayes),Numéro 2 (Jérémie)
etc., jadis les greniers alimentaires des villes avoisinantes. Ces
nouvelles concentrations intra et péri-urbaines constituent de vrais
ghettos. Les pentes et les bas-fonds de nos bassins versants, voies
d’évacuation naturelles des eaux de pluies, deviennent leurs lieux de
domicile. N’ayant plus de jardins pour se nourrir, ils vivent d’expédients.
L’Etat haitien en la personne de ses représentants: le Président René
Préval et le Premier ministre Jacques Edouard Alexis, se
trouve dans une impasse. Qui pis est, avec l’emploi des céréales comme
biocarburants, les nations riches ne peuvent plus nous secourir en cas de
disette, comme par le passé, parce qu’elles ont besoin de leurs réserves de
céréales, pas même suffisantes, à des fins énergétiques. Que faire?
Pour résoudre cette famine nuisible à la paix sociale haïtienne, il faut un
autre modèle de gestion de nos denrées alimentaires. Les décideurs
politiques haitiens doivent embrayer une nouvelle vitesse afin de passer
d’une agriculture de grapillage et de subsistance à une production agricole
industrielle. Compte tenu des nouveaux rapports villes/campagnes, un
nouveau paquet technique doit être mis en jeu non seulement pour augmenter
la production mais encore la productivité afin de combler ce gap.
Notre analyse sur la famine haïtienne intègre la rupture de notre chaîne
alimentaire dans un cadre géométrique à 3 dimensions:
1.- changement climatique versus biocarburants
2.- dichotomie ville/campagne versus explosion démographique
3.- Inaction de l’Exécutif haïtien versus incompétence des dirigeants
actuels
Un rapport symbiotique liait les communautés rurales et rurales sur le plan
des échanges commerciaux. De nos communautés rurales venaient les produits
agro-alimentaires et les denrées d’exportation telles que le café, le
cacao, le coton, le tabac, la pite etc. dont les ventes sur le marché
international nous procuraient les devises nécessaires à nos importations.
En
revanche les magasins et les boutiques de la ville offraient aux citadins
aussi bien qu’aux paysans la plupart des produits tels que :huile,
mantèque, farine,tissu, savon etc. Un simple coup d’oeil nous permet
d’identifier le paysan haitien comme le fournisseur par excellence de
notre diète alimentaire. Sa maigre contribution de nos jours à la
consommation locale force l’État haïtien à recourir à l’importation
d’aliments au point que les logiques sociales d’approvisionnement à partir
de nos communautés rurales disparaissent en changeant nos habitudes
alimentaires. Maintenant le blé, le spaghetti, les saucisses, le Corn
Flakes de Kellog’s, le riz, le maïs, le poulet de St Domingue etc.,
garnissent nos plats. Le fossé s’agrandit de jour en jour.
L’explication doit être cherchée dans le laisser-faire de nos
dirigeants,leur laxisme et leur ignorance des dossiers nationaux.Un Chef
d’État au 21e siècle ne peut plus être un béotien. Il n’a pas besoin d’être
initié aux arcanes de toutes les sciences, mais il lui faut un minimum de
connaissances pour s’orienter dans les méandres de l’économie mondiale
chargée de surprise. Les plus sots sont les plus entêtés. Face à un
problème de pénuries
alimentaires, un agronome n’a pas besoin d’êre thaumaturge.Il est
suffisamment outillé scientifiquement pour relever le défi. Nous sommes
surpris davantage par la triste sirène du Ministre de
l’Agriculture,l`agronome Francois Séverin face au désastre écologique
d’Haiti en titrant son livre: "Ti zwazo kote nou prale?."Nimporte quel
enfant de la Jardinière lui répondrait: "Kay fiyèt Lalo" parce que les
grands mangeurs
deux fois ministres de l’Agriculture, deux fois Premier ministre, deux
fois Président d'Haïti ont tout gobé sans redresser l’agriculture
haïtienne.
Dans un tel contexte de désorganisation des pouvoirs publics, toute
polémique est vaine et inutile. Une logique de survie nous commande à
arrêter les mesures adéquates pour crever cette poche de misère. Il faut
mettre sur pied des firmes ou des coopératives de production agropastorale
pour couvrir les besoins alimentaires d’Haïti .
A) Agriculture et élevage
Selon les normes et les standards les superficies suivantes exprimées en
hectare doivent être emblavées pour chaque culture:
1.- Cultures vivrières : 351.601 has
Maïs : 4.861 has, Millet : 53.071,46 has, riz : 162.242,57 has, palate:
17.717 has, igname: 5.607 has, oignon: 1.151 has , Banane: 16.945 has,
haricot: 123.644 has, tomate 1.067
2.-Production animale : 132.754 has
Pondeuses (oeufs) et poulets de chair: 96.059 has, bœufs (viande) et
vaches (lait pasteurisé : 24.904,12 TM): 27.519 has, cabri : 4296 has, Porc
: 18475 has
3.- Cultures fruitières
raisins; 72035,05 TM, orange:37695,62 TM, mangue: 40958,74 TM
4.- Produits importés
Les magasins de l’État se chargeront d’importer les produits alimentaires
suivants : Huile de cuisine : 30.203,48 TM, Lait évaporé : 8.301,39 TM,
Farine (pain)
: 112.147,04 TM
B) Répartition du portefeuille de financement :
1.-Cultures vivrières par ordre d’importance
haricot : 46%, riz : 17%, igname : 13%, banane :11%, millet : 5%, patate :
4%, mais : 2%, oignon 1%, tomate, 1% .
2.- Production animale par ordre d’importance
avin (chair) 51%, bovin(viande et lait) : 28%, halieutique(pêche) 12%,
caprin : 7%, porcin : 2% , avin Œuf) : 1%,
3.- Cultures fruitières
raisins:94%, orange: 2% mangue: 4%
Voilà comment on peut faire baisser les prix des denrées alimentaires pour
donner à manger à ventre déboutonné au peuple haitien sans espérer un
miracle du ciel.
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